Numéro du lot : 30
Estimation : 1500/2000 €
Guillaume APOLLINAIRE
Lettre autographe signée à Aurélie Octavie de Faucamberge, dite Aurel.
Quatre pages in-8° sur papier à en-tête de l’hôpital du Gouvernement Italien.
Léger manque en coin supérieur.
[Paris]. Soir du 23 novembre 1916.
« Aujourd’hui les lettres sont devenues pour ainsi dire l’affaire des femmes et il faut écrire pour elles ou n’être pas compris. »
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Ma chère amie,
Je ne saurai mieux vous remercier qu’en vous dédiant un poème dans mon prochain livre de vers [Aurel avait parlé d’Apollinaire dans son salon le soir même. Elle y avait notamment évoqué de la collection « Les Maîtres de l’amour »]. Je crois qu’on n’a jamais mieux parlé de moi et Dieu sait qu’on en écrit des choses bien diverses.
Toutefois pour ce qui concerne la liberté, il n’y a pas de tableaux libres dans mon œuvre comme il y en avait dans les ouvrages littéraires d’il y a dix ans. Je m’exprime franchement et parfois crûment mais ce qu’il peut y avoir de licence dans mes contes est satirique sans plus.
Évoquant Pierre Louÿs, Apollinaire estime rester dans les limites où se tenait un Pierre Bayle au XVIIe siècle : qui réclamait pour les gens de lettres le droit de s’exprimer librement mais il n’y a plus d’amateurs de lettres […] Aujourd’hui les lettres sont devenues pour ainsi dire l’affaire des femmes et il faut écrire pour elles ou n’être pas compris. C’est un de vos nombreux mérites d’avoir dépassé l’effort habituel des femmes et d’avoir voulu comprendre le langage d’un homme.
Il évoque la Première Guerre mondiale et confesse s’être mal exprimé : « Je ne l’ai jamais détestée, au contraire sans quoi je ne me serais pas engagé » et se désole de constater l’impréparation militaire de la France en une telle situation.
Il se défend d’avoir publié pour son plaisir la collection des « Maitres de l’amour » : « mais le malheur des temps ne m’a pas laissé d’autres moyens que ces éditions. J’espère pouvoir ne pas continuer. »
Il termine sa lettre par cet enthousiaste remerciement : « Pour tout ce qui me concerne, même la tendresse, je crois que vous avez dit juste et avec des tours merveilleux. C’est bien simple, je le répète, jamais on n’a dit si bien de moi, et il était donné à la femme de génie que vous êtes de me révéler à moi et aux autres. »
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Femme de lettres, Aurel (1869.1948) tint un salon littéraire, rue du Printemps, de 1915 à sa mort.
Elle parlera encore d’Apollinaire, après la mort de celui-ci, à L’Odéon, le 20 juin 1919. Maurice Boissard en rendit compte dans le Mercure de France.
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Provenance :
. Vente Laurin, Guilloux, Buffetaud et Tailleur. Drouot 19-20 novembre 1987.
. Collection M.D.
Bibliographie :
. G. Apollinaire. Correspondance générale. Honoré Champion. Tome III, pp. 219-220.
